L'assemblée est clairsemée, grisonante. Quelques sonotones sont fixés dernière les oreilles attentives des auditeurs confortablement installés dans les fauteuils du Théâtre du Nord, sur la Grand Place de Lille. A l'entrée de la salle, on distribue fièrement la caricature de Plantu représentant le prophète Mahommet, publiée par Le Monde au moment de l'emballement planétaire provoqué par le Jyllands Posten. Histoire de rappeler, ou pour faire croire, selon les avis, que le journal de référence possède encore un esprit d'indépendance.
Nous sommes à une réunion de la société des lecteurs du Monde. Jean Martin, son administrateur, et Jean-Marie Colombani, directeur du journal, sont venus expliquer aux actionnaires les évolutions de leur quotidien préféré.
Jean-Marie Colombani est fier de son travail. Il a sorti Le Monde de sa faillite permanente. Il a réussi à transformer le quotidien de référence en "marque", véritable "entreprise de production d'information". Tout cela malgré la crise de la publicité, qui boude les quotidiens depuis 2001. Tout cela malgré le reflux de la diffusion dûe, selon le directeur du journal, à la diminution du nombre de points de vente. Tout cela malgré les résultats négatifs du journal depuis 2002. Sa stratégie depuis dix ans? La construction d'un groupe puissant, dont Le Monde est le centre, la tête de la pieuvre dont les tentacules sont les journaux du Midi, Courrier International, Le Monde diplomatique, Télérama. Le Monde pert de l'argent? Qu'importe, les tentacules du groupe, eux, en gagnent, et financent le quotidien. En 2006, treize millions d'euros ont été drainés de la sorte. "Remboursé avec intérêts", précise Colombani. Nous sommes condamnés à le croire, faute de pouvoir vérifier.
Autre avantage, l'actionnariat du groupe est éclaté. Pas comme Libé, devenu la propriété d'Edouard de Rotschild, "aimable et respectable personne", ni comme le Figaro, propriété de Dassault. Ici, "tout le monde est actionnaire du Monde, mais personne ne l'est directement. Avant la constitution du groupe, nous subissions des pressions, depuis nous sommes plus forts. Si certaines personnes avancent que nous sommes compromis, vous pouvez être sûr qu'ils ont tort". Evidemment, cela se voit moins qu'à Libération. Seulement Jean-Marie Colombani, si fier de son indépendance, oublie de préciser que Le Monde Entreprises (qui regroupe les sociétés actionnaires du groupe) pèse tout de même pour 10,43% dans l'actionnariat. On trouve parmis ces "actionnaires partenaires" Air France, le Crédit mutuel, BNP Paribas, Danone, Les Editions du Seuil, Fayard, Sagem, EADS, Total Fina Elf, Axa. Beaucoup de poids lourds de multiples secteurs économiques français. Autant d'annonceurs qui se servent du Monde comme vecteur pour leur image.
Le directeur du journal reconnait quand même que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. "Tous les modèles économiques sont morts, il faut maintenant en inventer des nouveaux. Le problème aujourd'hui est la fin du monopole journalistique sur l'information. Les gens sont autant informés entre eux qu'avec un journal." Alors le tout est de refaire comprendre à ces fameux gens que Le Monde est La Référence en matière d'information en France. Il faut leur faire comprendre que Le Monde leur est nécessaire. Et dans ce climat morose pour la Presse quotidienne nationale (PQN), la nouvelle formule du journal (novembre 2005) aurait limitée la casse. Alors que les ventes chutaient de 10% entre novembre 2004 et novembre 2005, elles n'ont diminué que de 4% sur cette dernière année. Dans les conditions actuelles il reconnaît que "stagner est une prouesse". Et de bouilloner d'impatience à l'idée de la présidentielle qui va faire exploser les ventes.
L'assemblée acquiesse, boit les paroles de Jean-Marie Colombani. Mais une chose inquiète ces fidèles : les journaux gratuits. Du pain béni pour le directeur qui peut justifier une part de la baisse des ventes. Et qui en profite pour annoncer que Le Monde a chipé au Figaro le projet de lancer un Ville + à Paris, associé au groupe Bolloré. Avec une idée révolutionnaire : distribuer ce gratuit directement dans les boîtes aux lettres. Ce support publicitaire sera également un appel pour acheter le Monde de l'après-midi. Les articles seront en parti fournis par les rédacteur du journal, en version light. La totalité de l'article se trouvera dans le Monde de l'après-midi.
Le quotidien de référence a une particularité, à la fois force et faiblesse. C'est un quotidien du soir. Si à Paris et en Ile-de-France, cela lui permet d'être "le journal qui a toujours le dernier mot", en province, les nouvelles ont une demie-journée de retard face aux autres quotidiens de PQN. Une parution le matin provoquerait "une forte augmentation des ventes partout en France, mais une chute vertigineuse en Ile-de-France. Là où nous devons travailler, c'est sur l'amélioration de la diffusion, pas sur l'heure de parution. Pourtant, une chose est sûre, si Libération avait disparu, nous serions devenu un journal du matin". Il est évident que la disparition de Libération aurait profité au Monde. Le journal perdra encore de l'argent en 2006.
Mais Colombani espère encore et toujours que grâce au groupe, grâce à cette "marque Le Monde", grâce à cette "référence", grâce à cette stratégie offensive, le journal en sortira grandi. Malgré cette heure à expliquer le bouillonement capitalistique qu'il a mis en oeuvre, il tient à rassurer les actionnaires de la société des lecteurs : "On ne deviendra pas une société capitaliste comme les autres." Etrange conclusion lorsque l'on vient de faire une brillante démonstration pour expliquer que c'était déjà le cas.
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3 commentaires:
C'est qui le dessinateur Camus ?
Au Monde, c'est Plantu, non? Ou alors tu parles de Cabu ? Ou alors un nouveau caricaturiste m'a échappé...
Ah oui, dans les tentacules, tu peux rajouter La Vie. Crois-moi, J-M se gêne pas pour tirer dans les caisses. :)
Effectivement, mes doigts ont fourché. Je m'empresse de corriger cette erreur.
Toutes mes excuses cher anonyme.
Il y a toujours un peu d'escogriffe dans chaque anonyme. ;)
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